Quand Marianne fait de l'histoire...

Publié le par JACQUES GOLIOT

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Référence : Marianne n° 813, 17-23 novembre 2012, p. 67

 

 

Marianne consacre cette semaine un dossier aux « points noirs » de l’histoire de France. On y trouve notamment un article de Jack Dion sur les serfs : 

 

« Moyen Âge 

 Des « indignés » dans le système féodal

Les serfs, ces esclaves français

Voltaire a passé les dernières années de sa vie à défendre les serfs du Jura, soumis aux moines du chapitre de Saint-Claude. Ces derniers récupéraient tous leurs biens à leurs décès en vertu du système de la mainmorte hérité du système féodal traitant les serfs en sous-hommes, que le philosophe n’hésitait pas à appeler des « esclaves ». Voltaire perdit son ultime combat : les serfs de Saint-Claude ne furent affranchis qu’après la Révolution largement inspirée par les thèses voltairiennes. Tout au long du Moyen Âge avaient éclatées des révoltes violemment réprimées par les seigneurs, désireux de défendre un statut d’opprimé d’où est né l’expression « taillables et corvéables à merci ». De fait, les serfs n’avaient aucun droit. Descendants de l’esclavage antique, ils étaient la propriété du roi, de l’Eglise ou du seigneur qui pouvaient les acheter, les vendre ou les léguer comme une vulgaire marchandise. Lorsqu’ils accédaient à une certaine autonomie, ils étaient étouffés par les charges du seigneur dont ils dépendaient et qu’ils ne pouvaient quitter. A la moindre désobéissance, leurs propriétaires n’hésitaient pas à passer les « indignés » de l’époque par les armes… »

 

 

En ce qui concerne les serfs des « moines du chapitre » (c’est-à-dire des « chanoines ») de Saint-Claude, et la lutte qu’a menée Voltaire, je ne dispose pas des éléments pour discuter ce point précis.

A un niveau plus général, pour autant que je me rappelle mes cours de première année, il restait environ 100 000 serfs en France en 1789, sur une population de 25 000 000, dont une majorité de paysans. Il s’agissait donc d’un statut très minoritaire. La quasi-totalité des paysans français étaient à cette date des hommes libres.

Quant au reste…

Le statut de serf n’était pas un statut d’esclave (Voltaire emploie ce mot de façon purement polémique) ni de « sous-homme » (terme anachronique), mais de tenancier (chef d’exploitation agricole) soumis à des redevances spécifiques en plus de celles des tenanciers libres (le total étant effectivement très lourd). Il n’était pas question « d’acheter ou de vendre » un serf « comme une vulgaire marchandise », étant donné que le serf était lié à l’exploitation et réciproquement. 

Les révoltes paysannes du Moyen Âge n’ont pas été des révoltes de serfs, et il n’y en a pas eu tant que cela ; il y en a eu beaucoup plus au XVIIème siècle, il s’agissait alors de révoltes contre l’accroissement de la pression fiscale à l’époque du renforcement de la monarchie absolue (Croquants, Nu-pieds, Bonnets Rouges, etc.). 

En fait, on peut considérer qu'au XIème siècle, quasiment tous les paysans étaient serfs  (c’est-à-dire qu’avaient disparu les statuts d’esclave (au sens antique) et de paysan libre, qui existaient encore sous les premiers Carolingiens) et que quasiment tous étaient devenus des hommes libres dès la fin du XVème, non pas tant à cause de révoltes qu’à cause de phénomènes de grande ampleur (développement des villes, défrichements, Peste Noire). A l’ouest de l’Europe du moins, puisqu’au contraire le servage est devenu la règle à l’Est (en particulier en Russie) entre le XVème et le XVIIIème siècle.

 

Conclusion : On peut s’interroger sur les sources qu’a utilisées Jack Dion. Peut-être un manuel d’école primaire de la III° République… En tout cas, je ne vois pas bien pour quelle raison ce sujet devrait donner lieu à quelque « repentance » que ce soit.

 

Quelques références bibliographiques 

*Jacques Heers, Précis d'histoire du Moyen Âge, PUF, 1968 (chapitre VIII : L'essor de l'Europe : la vie agraire et les grands défrichements)

*Georges Duby, L'Economie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval, Aubier, 1962 **Livre I, chapitre 2 Richesse et société 6 Le grand domaine et l'économie paysanne ;

**Livre II, chapitre 3 L'expansion agricole et les structures de la société ;

**Livre III, chapitre 2 Aux XI° et XII° siècles Seigneurs et paysans ;

**Livre IV, chapitre 3 Les paysans.



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